Fantasmes, peurs… et réalité clinique
L’hypnose fascine autant qu’elle inquiète. Entre les mythes populaires, les clichés véhiculés par le cinéma ou les spectacles de rue, la peur d’être “manipulé” reste profondément ancrée dans l’imaginaire collectif.
Mais qu’en est-il vraiment ? Que peut réellement l’hypnose ? Et surtout, quels sont ses limites et ses dangers potentiels, lorsqu’elle est mal utilisée ou mal comprise ?
Ce que pensait Milton Erickson, pionnier de l’hypnose moderne, constitue un point de départ incontournable. Mais la recherche scientifique contemporaine a depuis enrichi le débat.
Ce que disait Milton Erickson : un extrait fondateur
Milton H. Erickson, considéré comme le père de l’hypnose thérapeutique moderne, a mené une étude pionnière en 1941 sur les dangers potentiels et les usages antisociaux de l’hypnose. Voici l’extrait complet de ses conclusions, aujourd’hui encore largement cité dans les milieux thérapeutiques :
[Début de l’extrait intégral]
« En résumé, donc, la littérature nous livre bien peu d’informations fiables à propos des éventuels effets préjudiciables de l’hypnose expérimentale, même si elle regorge de dénonciations dogmatiques et non argumentées fondées sur des conceptions dépassées et indéfendables de ce phénomène… »
« L’expérience personnelle de l’auteur, fondée sur plusieurs milliers de transes avec environ trois cents sujets, dont certains ont été hypnotisés au moins cinq cents fois sur une période de quatre à six ans, ne révèle aucune preuve de tels effets dangereux… »
« Les résultats montrèrent qu’aucune procédure expérimentale ne put inciter des sujets hypnotiques à exécuter, en réponse à une suggestion hypnotique, des actes de nature répréhensible, même si, à l’état d’éveil, ils trouvaient acceptables beaucoup des actes suggérés. »
« Au lieu d’obéir et d’apporter leur adhésion à l’hypnotiste, d’une manière aveugle, soumise, automatique, irréfléchie… les sujets firent preuve d’une grande aptitude et d’une grande compétence pour se protéger eux-mêmes, pour porter rapidement un jugement critique sur les suggestions, pour se dérober aux instructions ou même les rejeter en bloc. »
« En outre, beaucoup se montrèrent tout à fait capables de reprendre le contrôle de la situation hypnotique en obligeant l’expérimentateur à faire amende honorable pour ses suggestions inadmissibles… »
« Au vu de ces résultats expérimentaux, on peut donc conclure que l’hypnose ne peut être détournée pour inciter des personnes hypnotisées à commettre pour de bon des actes illicites contre elles-mêmes ou contre autrui, et que le seul risque sérieux rencontré dans de telles tentatives est encouru par les hypnotiseurs qui s’exposent à être damnés, rejetés, ou démasqués. »
[Fin de l’extrait]
— Milton H. Erickson, 1941, American Journal of Clinical Hypnosis
Des avis parfois divergents
Malgré l’autorité d’Erickson, certains chercheurs ont mis en lumière d’autres angles :
1. L’hypnose comme phénomène de suggestion sociale
Barber et Orne ont démontré que le pouvoir de l’hypnose repose en partie sur le contexte d’autorité, la pression implicite à coopérer, et les attentes du sujet.
2. La notion de double conscience
Weitzenhoffer avance que l’hypnose peut affaiblir temporairement la perception de contrôle, surtout si le sujet perçoit l’hypnotiseur comme une figure bienveillante ou d’autorité.
3. Des comportements incongrus mais limités
Certaines expériences montrent que les sujets hypnotisés peuvent dépasser légèrement leurs inhibitions, mais ne vont pas à l’encontre de leur code moral profond.
Ce que permet — et ne permet pas — l’hypnose :
✅ Ce que permet l’hypnose | ❌ Ce que l’hypnose ne permet pas |
---|---|
Renforcer la motivation ou la confiance | Forcer quelqu’un à aller contre ses valeurs profondes |
Favoriser le changement comportemental | Prendre le contrôle de quelqu’un |
Explorer les ressources inconscientes | Imposer un souvenir ou une croyance contre la volonté |
Apaiser la douleur ou l’anxiété | Obliger quelqu’un à “oublier” une vérité qu’il veut garder |
Ce que dit la science contemporaine
Les recherches en psychologie cognitive et en neurosciences des vingt dernières années permettent de mieux comprendre ce qui se passe réellement dans le cerveau sous hypnose, et dans quelles conditions il peut y avoir un risque, même mineur.
1. Le libre arbitre est maintenu
Contrairement à l’image de la marionnette passive, les études actuelles montrent que l’état hypnotique n’annule jamais la volonté propre.
- Une méta-analyse de Lynn et al. (2015) confirme que les sujets sous hypnose peuvent refuser des suggestions qu’ils jugent inacceptables.
- Même sous transe profonde, les personnes ne perdent pas leur éthique personnelle : elles conservent la capacité à évaluer ce qui est acceptable ou non pour elles.
👉 Cela rejoint les constats de Milton Erickson dès 1941, mais la science actuelle le confirme de façon plus rigoureuse.
2. Des modifications cérébrales réversibles et mesurables
L’imagerie cérébrale (IRMf, EEG) a mis en évidence des changements clairs dans le fonctionnement du cerveau hypnotisé :
- Réduction de l’activité du réseau du mode par défaut, lié à la rumination mentale et à la conscience de soi narrative. Cela explique la sensation de “lâcher-prise”.
- Activation accrue des circuits attentionnels et sensoriels : le sujet devient plus réceptif aux suggestions pertinentes, mais aussi plus absorbé par les stimuli internes.
- Diminution temporaire de l’activité du cortex cingulaire postérieur, lié à la vigilance critique et à l’auto-observation.
👉 Ces modifications n’impliquent pas une perte de contrôle, mais plutôt une flexibilité accrue, utile en thérapie… mais à manier avec prudence.
3. Des risques marginaux, mais bien réels
L’hypnose est sûre dans un cadre professionnel, mais certaines situations mal encadrées peuvent générer :
- Des faux souvenirs, notamment lorsqu’un praticien pose des questions suggestives ou dirigeantes. Ces effets ont été largement documentés dans les controverses des années 1990 autour des “souvenirs retrouvés”.
- Une dissociation excessive, surtout chez des personnes souffrant de troubles post-traumatiques complexes. L’hypnose peut alors accentuer la fragmentation identitaire si elle n’est pas bien dosée.
- Une réactivation émotionnelle brutale, chez des sujets non préparés, notamment lors de régressions spontanées.
👉 Ces effets sont rares mais rappellent l’importance de l’éthique, du cadre thérapeutique et de la formation du praticien.
4. Hypnotisabilité : plus de profondeur, mais pas de soumission
Certaines personnes (10 à 15 % de la population) sont dites “hautement hypnotisables”. Elles peuvent :
- Entrer rapidement en transe profonde,
- Ressentir des phénomènes comme l’amnésie, la catalepsie ou des hallucinations contrôlées,
- Réagir fortement aux suggestions symboliques ou émotionnelles.
Mais là encore, aucune perte de contrôle total n’est observée. Ces sujets sont plus sensibles, pas plus manipulables. Leur hypnose nécessite simplement plus de finesse et de vigilance.
Encadré bibliographique
- Erickson, M. H. (1941). Concerning the possible dangers of hypnosis. American Journal of Clinical Hypnosis.
- Weitzenhoffer, A. M. (2000). The Practice of Hypnotism. Wiley.
- Lynn, S. J., Kirsch, I., & Hallquist, M. N. (2008). Social cognitive theories of hypnosis.
- Terhune, D. B., Cleeremans, A., Raz, A., & Lynn, S. J. (2017). Hypnosis and top-down regulation of consciousness. Neuroscience & Biobehavioral Reviews.
Pour aller plus loin :
➡️ Comprendre l’hypnose : entre science et approche ericksonienne
https://hansen-hypnose.com/hypnose-medicale-selon-docteur-milton-erickson/