
« À la suite des événements de nos vies passées, se sont élaborés dans nos corps – même s’ils ne sont pas du tout reconnus – certains apprentissages, certaines associations, certains conditionnements, que ce soit dans le domaine psychologique, physiologique ou neurologique, qui rendent possible le contrôle, voire l’abolition de la douleur. »
— Milton H. Erickson (Collected Papers, Vol. 4, p. 307)
Une révolution dans l’approche de la douleur
Milton Erickson, en raison de sa propre histoire de souffrance liée à la poliomyélite, a développé une compréhension fine et profondément humaine de la douleur. Loin de la combattre frontalement, il a appris à dialoguer avec elle. Pour lui, la douleur est à la fois un phénomène sensoriel, émotionnel et contextuel, qui peut être transformé, déplacé ou recadré dans l’expérience du sujet grâce à l’hypnose.
Plutôt que de chercher à “faire taire” la douleur, Erickson propose de lui donner un autre sens, un autre rôle, ou une autre forme, en s’appuyant sur les ressources inconscientes et créatives de chaque personne.
Les outils hypnotiques pour la gestion de la douleur selon Erickson
Voici les principales techniques utilisées par Erickson, chacune avec ses effets, applications et implications thérapeutiques :
1. Définir, décrire et encadrer la douleur
Le travail commence souvent par une exploration fine de la douleur. Erickson encourage à :
- Nommer le type de douleur : aiguë, chronique, transitoire, récurrente…
- Qualifier sa sensation : brûlante, coupante, pulsatile, sourde, piquante, envahissante…
- Explorer son langage émotionnel : menaçante, rebelle, invalidante, culpabilisante…
Ce travail d’observation consciente aide déjà à créer une distance, à réduire l’identification au symptôme, et à activer des représentations nouvelles.
2. Anesthésie et analgésie hypnotiques
- Anesthésie : suppression totale des sensations dans une zone.
- Analgésie : suppression sélective de la douleur, sans perte totale de sensation.
Par des suggestions progressives, l’hypnothérapeute peut guider le sujet à sentir une main devenir engourdie, puis transporter cette anesthésie à un endroit douloureux.
Exemple : Une main « gantée » de fraîcheur peut ensuite « toucher » symboliquement la zone douloureuse pour y transférer l’effet anesthésiant. (cf. technique du gant hypnotique)
3. Amnésie hypnotique
La suggestion d’oubli temporaire ou permanent d’un souvenir douloureux ou d’un épisode de douleur permet un soulagement indirect.
Objectif : Diminuer le poids des douleurs passées sur l’expérience présente, et desserrer les boucles de mémoire corporelle ou émotionnelle.
4. Dissociation
Technique-clé chez Erickson, elle consiste à séparer la conscience d’un aspect de l’expérience. La personne peut devenir observatrice de sa douleur plutôt que de la vivre “de l’intérieur”.
Forme possible : inviter la personne à « poser la douleur sur une chaise à côté », ou à se voir depuis l’extérieur.
5. Réinterprétation sensorielle
La douleur n’est plus perçue comme « douleur » mais comme une autre sensation, neutre ou familière : picotements, chaleur douce, vibration, courant d’air…
Suggestion typique : « Et si cette sensation pouvait devenir une pulsation, comme celle d’un tambour, rythmée, régulière, presque agréable… »
6. Distorsion temporelle
- Contraction du temps douloureux : « Cette sensation va passer vite, comme un éclair. »
- Allongement des temps de rémission : amplifier mentalement les moments sans douleur.
Milton Erickson utilisait souvent ces distorsions pour modifier l’expérience subjective du temps et permettre à l’inconscient d’anticiper la guérison.
7. Modifications physiologiques indirectes
L’hypnose permet d’agir sur des paramètres corporels liés à la douleur :
- Tension musculaire : relâchement profond ciblé.
- Circulation sanguine : sensation de chaleur, flux accru.
- Inflammation : suggestion de refroidissement, apaisement.
8. Ré-évocation de souvenirs antidouleur
Faire revivre au sujet des moments de bien-être, de calme, ou d’absence de douleur. Ces états sont alors ancrés et réutilisés en contrepoint.
Exemple : se rappeler un moment de marche paisible, sans douleur, pour activer des réseaux neuronaux concurrents.
9. Distraction ou focalisation alternative
Détourner l’attention vers une tâche mentale ou sensorielle engageante : compter à l’envers, se concentrer sur un bruit lointain, suivre mentalement un mouvement…
L’objectif est d’occuper les circuits attentionnels pour qu’ils cessent d’amplifier la douleur.
10. Déplacement de la douleur
La douleur peut être symboliquement transférée vers une zone moins gênante ou plus acceptable, voire à l’extérieur du corps.
Erickson racontait avoir déplacé une douleur chronique du bras vers une chaise imaginaire… qui fut ensuite « enlevée » de la pièce.
11. Projection dans un avenir libéré
La visualisation d’un futur apaisé crée une dynamique de guérison. Cela peut inclure :
- L’hypnose en progression d’âge
- Des métaphores de guérison (renaître, éclore, se libérer)
- Des présuppositions comme : « Quand la douleur commencera à diminuer… »
Une approche individualisée et créative
Le génie d’Erickson réside dans sa capacité à adapter chacune de ces stratégies au vécu unique de ses patients. Son approche ne repose pas sur un protocole rigide, mais sur une écoute fine de l’inconscient, une créativité thérapeutique nourrie d’humour, de métaphores, et de suggestions indirectes.
En apprenant à remodeler l’expérience sensorielle et émotionnelle de la douleur, Erickson a ouvert la voie à une hypnose profondément humaniste, où la douleur devient une opportunité de transformation.
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