
Ce texte est extrait d’une conférence informelle donnée par Milton H. Erickson, publiée dans Life Reframing in Hypnosis (Zeig & Geary).
Interrogé en public sur sa manière d’induire l’hypnose, il répond à la question… en hypnotisant discrètement son auditoire. Sans le dire. Sans induction formelle.
Une démonstration magistrale d’hypnose conversationnelle à travers un langage aussi simple que stratégique.
Le récit d’Erickson
« La question à laquelle je n’ai pas encore répondu est : Quand est-ce que j’induis l’hypnose, et quelle technique est-ce que j’utilise pour l’induire ?
Comment se fait-il que tant de personnes dans ce public soient en hypnose maintenant en m’écoutant ?
Je vois que beaucoup d’entre vous sont dans des transes hypnotiques profondes.
Voyez, quand je parle à un patient dans mon cabinet, j’obtiens que son regard soit fixé sur moi, et je lui parle d’une telle façon qu’il sache que je suis en train de lui parler.
Il sait que je veux qu’il écoute, que je veux qu’il m’entende, et que je ne suis pas le moins du monde intéressé par les bruits en dehors de mon cabinet, l’avion au-dessus de nos têtes, les voitures qui passent dans la rue, les oiseaux qui chantent dans le jardin.
Je ne parle qu’à lui, et je retiens son attention. Il se sent figé et il se sent rigide, mais la douceur de ma voix et mon regard si direct concentrent toute son attention sur moi.
Et alors il est dans un état de transe hypnotique.
C’est la technique que j’utilise habituellement parce que je n’aime pas perdre de temps avec les techniques formelles de suggestion.
Expliquer “Maintenant, vous décroisez les jambes, vous posez vos pieds au sol, vous vous enfoncez dans le fauteuil…” tout cela prend trop de temps.
J’ai beaucoup de choses à faire avec ce patient, alors je parle tout simplement.
Je ne sais pas à quelle vitesse le patient peut apprendre, avec quelle facilité il peut comprendre, ni ce que l’hypnose pourra bien lui apporter.
Avec certains patients, c’est très rapide. Avec d’autres, cela prend du temps.
Les patients ont besoin de prendre leur temps, et il n’est pas important qu’ils réalisent qu’ils ont été en hypnose. Leur inconscient le sait. »
Stratégies d’induction conversationnelle utilisées dans ce passage
Erickson dévoile ici l’essence même de son approche : une hypnose fluide, naturelle, relationnelle. Décryptons les ressorts hypnotiques à l’œuvre dans ce texte.
- Fixation de l’attention « J’obtiens que son regard soit fixé sur moi… » => Erickson utilise la fixation visuelle non comme une commande, mais comme une conséquence naturelle de l’alliance et de l’intérêt suscité. Le regard fixe devient le point d’ancrage de l’état de transe.
- Direction implicite de l’attention « Je veux qu’il m’écoute… et que je ne suis pas intéressé par les bruits à l’extérieur… » => C’est une exclusion progressive du monde extérieur, renforçant l’attention centrée et favorisant une immersion sensorielle. Ce cadrage auditif induit un effet de bulle.
- Présence hypnotique « Je parle d’une telle façon qu’il sache que je parle à lui… » => La posture, la voix, le regard, tout participe ici à l’induction par présence : Erickson ne “fait” pas l’hypnose, il est hypnose.
- Suggestion posturale indirecte « Il se sent figé et rigide… » => Ce n’est pas un ordre. C’est un constat qui agit comme une suggestion indirecte, renforçant la sensation de transe sans la nommer.
- Utilisation du rythme et du ton de la voix « La douceur de ma voix concentre toute son attention… » => Le ton devient un outil d’induction. Erickson synchronise son rythme verbal avec l’état du patient, induisant un état de détente profond sans l’imposer.
- Refus des techniques formelles « Je n’aime pas perdre de temps avec les techniques formelles de suggestion… » => Il critique les rituels hypnotiques standard pour mieux justifier une approche minimaliste et intuitive, fondée sur la spontanéité relationnelle. L’hypnose devient invisible.
- Flou permissif « Je ne sais pas à quelle vitesse le patient peut apprendre… » => Erickson utilise le flou, le doute, et la permissivité pour ouvrir l’espace de réponse inconsciente. Cela permet une induction douce, sans contrainte, ni attente de résultat.
- Dissociation conscient / inconscient « Il n’est pas important qu’ils réalisent qu’ils ont été en hypnose. Leur inconscient le sait. » => Ici, le cœur de l’approche ericksonienne : la transe est adressée à l’inconscient, et le patient n’a pas besoin de savoir qu’il y a eu hypnose. Le travail se fait en profondeur, à l’abri de la conscience critique.
Ce qu’on peut en retenir pour la pratique de l’hypnose conversationnelle
L’état hypnotique n’a pas besoin d’être “annoncé”. Il se construit dans la relation, dans l’attention, dans la manière de dire… plus que dans ce qui est dit.
Erickson nous rappelle ici que l’hypnose peut se pratiquer dans un cadre totalement conversationnel, sans induction formelle ni rupture du cadre habituel. C’est une hypnose furtive, permissive, relationnelle, où la puissance vient du positionnement du thérapeute, bien plus que des techniques elles-mêmes.
Pour aller plus loin :
➡️ Retrouvez aussi l’analyse complète proposée par Antoine Garnier sur garnier-hypnose.com
➡️ Dans un autre article, Erickson applique cette même logique à un cas clinique de sevrage tabagique particulièrement résistant.
Une induction invisible, des suggestions indirectes, une coopération subtile entre conscient et inconscient…
Et vous, comment intégrez-vous cette approche dans vos séances ?
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