
Cet article a été rédigé dans le cadre d’une demi journée de formation organisée par le CEID Béarn Addictions, dédiée à l’introduction de l’hypnose dans l’accompagnement des conduites addictives. Il vise à fournir un socle théorique et clinique aux professionnels souhaitant mieux comprendre les apports de l’hypnose thérapeutique dans une démarche de soin intégrée.
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Résumé :
L’hypnose thérapeutique constitue aujourd’hui une approche complémentaire pertinente dans le champ de l’addictologie. Intégrée à une démarche globale de soin, elle permet d’intervenir à différents niveaux : régulation émotionnelle, gestion du craving, modification des croyances, consolidation du moi abstinent, et traitement de traumatismes sous-jacents. Cet article présente les fondements neuropsychologiques et psychothérapeutiques de l’hypnose appliquée aux addictions, les outils mobilisables en séance, ainsi que les stratégies d’intervention spécifiques en fonction des types de dépendances.
1. Introduction
Les addictions représentent un enjeu majeur de santé publique. Leur traitement nécessite une approche multimodale, combinant le plus souvent accompagnement médical, psychothérapeutique, social et parfois médicamenteux. Dans ce cadre, l’hypnose thérapeutique s’est progressivement imposée comme un outil complémentaire utile, notamment pour renforcer les processus de changement, favoriser la régulation émotionnelle, et réduire les risques de rechute.
2. Hypnose thérapeutique : fondements et mécanismes d’action
2.1. Définition et cadre clinique
L’hypnose thérapeutique désigne l’usage intentionnel d’un état modifié de conscience, caractérisé par une focalisation de l’attention, une absorption interne accrue, et une suggestibilité transitoirement augmentée. Le sujet demeure conscient mais se trouve dans une disposition favorable à la plasticité cognitive et émotionnelle, permettant l’intégration de suggestions ou de visualisations orientées vers le changement.
Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit ni d’un état de sommeil ni de soumission, mais d’une collaboration thérapeutique active visant à mobiliser les ressources internes du patient.
2.2. Données neurocognitives
Des études en neuroimagerie (Faymonville et al., 2003 ; Landry et al., 2017) ont montré que l’hypnose modifie l’activité des régions préfrontales, cingulaires, et du système limbique, suggérant une modulation de la perception, de l’attention, et de la régulation émotionnelle. Elle peut influencer le système nerveux autonome, favoriser un état de relaxation physiologique, et faciliter des réorganisations cognitives bénéfiques dans un contexte de dépendance. (cf. article hypnose et neurosciences)
3. Hypnose et processus addictifs : cibles d’intervention
L’intérêt de l’hypnose dans l’addictologie repose sur sa capacité à intervenir sur plusieurs dimensions du trouble addictif :
3.1. Craving et impulsivité
L’état hypnotique permet une réduction du craving par des techniques de suggestion (ex. : suggestion de neutralité, désactivation du déclencheur) ou de substitution d’état interne. Des exercices de futurisation permettent au patient de se projeter dans une réponse alternative face à l’envie.
3.2. Régulation des affects
Les émotions négatives (anxiété, vide, colère, honte…) sont fréquemment à l’origine des consommations. L’hypnose permet de désamorcer la charge émotionnelle associée à certains contextes par des techniques de désensibilisation ou de recadrage symbolique.
3.3. Travail sur les croyances
Les croyances limitantes (« je ne peux pas m’en sortir », « je suis faible », « je suis dépendant à vie ») sont des cibles fréquentes en hypnose. Des techniques de suggestion positive ou d’ancrage identitaire permettent de les remettre en question et de construire une narration alternative.
3.4. Consolidation du moi fragmenté
Chez certains patients, notamment en cas de traumatismes précoces ou de dépendances sévères, l’hypnose permet un travail de consolidation du moi, en particulier par des approches telles que le dialogue des parties, le recadrage symbolique ou les régressions contrôlées, notamment par des approches telles que la thérapie des états du moi (cf. Ego State Therapy, Watkins & Watkins, 1997)…
4. Outils hypnotiques mobilisables
4.1. Induction et approfondissement
- Inductions permissives ou directives (fixation, respiration, dissociation).
- Profondeur variable selon les objectifs : légère (visualisation, relaxation) à moyenne (ancrage, futurisation), voire profonde pour les régressions, le travail avec les compulsions et l’emploi de la suggestion post-hypnotique.
4.2. Suggestions thérapeutiques
- Suggestions permissives : renforcer l’autonomie et la confiance du sujet dans sa capacité à changer.
- Suggestions métaphoriques : contourner les résistances cognitives par une narration symbolique.
- Suggestions directes et post-hypnotiques : activer une réponse spécifique face au déclencheur.
4.3. Techniques spécifiques
- Ancrage de ressources : installation d’un état émotionnel positif mobilisable à la demande.
- Désactivation de déclencheurs : dissociation stimulus-réponse.
- Travail avec les parties : dialogue entre les sous-personnalités (ex. : la part qui consomme vs. la part protectrice).
- Futurisation : projection dans un futur sobre et cohérent avec les valeurs de la personne. Cette technique, fréquemment utilisée en hypnose, s’inscrit également dans la logique des approches centrées sur les solutions (de Shazer, 1985), qui visent à mobiliser les ressources du patient en l’aidant à construire une représentation concrète et engageante de sa vie sans addiction.
- Autohypnose : apprentissage de techniques d’auto-régulation en dehors des séances.
4.4. Tableau récapitulatif
Cibles de l’hypnose | Objectifs thérapeutiques | Techniques principales |
---|---|---|
Craving | Réduire l’impulsion | Suggestions post-hypnotiques, futurisation |
Émotions négatives | Réguler, désamorcer | Ancrage, métaphores, désensibilisation |
Croyances limitantes | Renforcer le moi abstinent | Recadrage, travail des parties |
Traumatismes | Intégration, sécurisation | Régression contrôlée, métaphores symboliques |
5. Stratégies différenciées selon les types d’addictions
5.1. Addictions aux substances
a. Tabac
- Recadrage des premières expériences (souvenir de la première cigarette).
- Suggestions de dégoût, dissociation du geste.
- Visualisation d’un « soi libéré » avec des routines alternatives.
b. Alcool
- Identification des émotions déclencheuses (ennui, stress social).
- Travail symbolique sur la dépendance comme attachement toxique.
- Réinstallation de scénarios d’adaptation sans consommation.
c. Drogues
- Hypnose en phase de stabilisation (post-sevrage).
- Travail sur le vide identitaire et les traumas associés.
- Consolidation du sentiment d’intégrité corporelle et mentale.
5.2. Addictions comportementales
a. Jeu pathologique
- Modulation de l’impulsivité (ancrage de réponses différées).
- Désensibilisation aux images ou sons déclencheurs.
- Travail sur les illusions de contrôle et les distorsions cognitives.
b. Troubles du comportement alimentaire
- Travail sur l’image corporelle, les croyances sur la nourriture.
- Distinction faim physique / faim émotionnelle.
- Visualisation d’une relation apaisée au corps et à l’alimentation.
c. Dépendances affectives, sexuelles ou numériques
- Travail identitaire et sur les blessures d’attachement.
- Recadrage des besoins et dépendances relationnelles.
- Consolidation de l’autonomie émotionnelle.
6. Cadre thérapeutique, indications et limites
6.1. Cadre éthique
L’hypnose doit être pratiquée par un professionnel formé, expérimenté et supervisé. Elle ne saurait se substituer à une prise en charge médicale ou psychiatrique, mais s’intègre dans une démarche pluridisciplinaire.
6.2. Indications
- Motivation au changement présente, même partielle.
- Acceptation de l’état hypnotique (sans obligation de profondeur).
- Absence de contre-indications psychiatriques graves non stabilisées (troubles dissociatifs, psychoses aiguës).
6.3. Limites
- L’efficacité dépend du contexte, de la relation thérapeutique et de la complémentarité avec d’autres approches.
- Nécessité d’un cadre sécurisé pour les patients ayant un passé traumatique.
- L’hypnose ne remplace ni le désir de changement, ni le travail personnel actif du patient.
7. Conclusion
L’hypnose représente un outil complémentaire de plus en plus reconnu dans la prise en charge des addictions. Elle permet d’intervenir à des niveaux souvent inaccessibles par le seul discours rationnel, en facilitant l’accès à des ressources internes, la reconfiguration des automatismes, et le renforcement du sentiment d’identité sans addiction. Son intégration judicieuse dans un parcours de soin pluridisciplinaire peut significativement améliorer l’adhésion, réduire le risque de rechute, et accompagner un changement durable.
Quelques références & bibliographie
- Erickson, M. H. (1954). The use of hypnosis in the treatment of alcoholism: An intersubjective approach. American Journal of Clinical Hypnosis, 2(1), 42–51.
- Erickson, M. H., Rossi, E. L. (1979). Hypnotherapy: An exploratory casebook. Irvington Publishers.
- Milling, L. S., Valentine, K. E. (2021). Hypnosis in the treatment of addiction. Int J Clin Exp Hypn.
- Djayabala Varma (2018). Hypnose et addictions.
- Hammond, D. C. (2009). Métaphores et suggestions : applications cliniques de l’hypnose. Satas.
- de Shazer, S. (2001). La Thérapie brève centrée sur les solutions. InterÉditions.
- Watkins, J. G., & Watkins, H. H. (1997). Ego States: Theory and Therapy. W. W. Norton & Company.
- Faymonville, M.-E., Laureys, S., et al. (2003). Functional neuroanatomy of the hypnotic state. Biological Psychiatry. (Pubmed)
- Barnes, J., McRobbie, H., Dong, C., et al. (2010). Hypnosis for smoking cessation. Cochrane Database of Systematic Reviews. (Pubmed)
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