
Pour les personnes hypersensibles, la gestion des bruits environnants — qu’il s’agisse du quotidien, de l’endormissement ou de l’induction hypnotique — représente un véritable défi. Se détendre, se concentrer ou simplement rester présent à soi devient un exercice difficile dans un environnement sonore chargé.
La technique des doubles yeux et des doubles oreilles offre une approche simple et efficace pour apprendre à se détacher d’un environnement bruyant. Elle permet non seulement de faciliter l’accès à la transe hypnotique, mais aussi d’apprendre à filtrer ou recontextualiser les bruits gênants, que ce soit pour mieux dormir, se relaxer ou retrouver du calme dans un monde bruyant. Cet article vous présente cette méthode et explique comment elle peut réconcilier monde intérieur et extérieur.
La technique des doubles yeux et des doubles oreilles
Cette technique repose sur une dissociation sensorielle entre les perceptions extérieures et les ressentis intérieurs. En état d’hypnose, la personne imagine qu’elle dispose de deux paires d’yeux et de deux paires d’oreilles. Cette représentation métaphorique l’aide à établir une distinction claire entre ce qui vient du monde extérieur et ce qui appartient à son univers intérieur — et ce sur quoi elle focalise son attention.
L’objectif est de transformer la perception des bruits extérieurs, non plus comme des perturbations, mais comme des éléments intégrés et neutres du paysage sonore. Une manière de cesser de les subir pour commencer à les apprivoiser.
Comment fonctionnent les doubles yeux et les doubles oreilles ?
Les deux paires d’yeux :
- Les yeux externes observent le monde environnant : les formes, les couleurs, les mouvements… Ils accueillent ces stimulations comme on contemple un paysage, sans jugement, simplement avec présence, jusqu’à ne plus y prêter d’importance et progressivement s’en détacher.
- Les yeux internes se tournent vers les paysages intérieurs et tout ce qu’ils éveillent en nous : émotions, sensations, rêves, bien-être.
Les deux paires d’oreilles :
- Les oreilles externes perçoivent les sons extérieurs, qu’ils soient agréables ou désagréables. Ces bruits sont accueillis comme des éléments du décor, sans réactivité excessive.
- Les oreilles internes écoutent l’espace intérieur, là où règne le silence ou des sons apaisants, comme le murmure d’un ruisseau ou le souffle d’un vent doux. Cet espace devient un refuge, une bulle sonore protectrice.
Grâce à cette dissociation, la personne peut moduler sa perception auditive. Les bruits extérieurs ne sont plus vécus comme une agression mais comme des éléments fondus dans un paysage sonore élargi, maîtrisé, apaisé.
Une inspiration naturaliste signée Milton Erickson
Cette technique s’inscrit pleinement dans l’approche naturaliste de Milton Erickson. Pour lui, il n’était pas nécessaire de fuir les stimuli perturbateurs — au contraire, il encourageait à les intégrer dans l’expérience hypnotique.
Il racontait souvent comment, jeune homme, il avait visité une usine où le vacarme des machines l’empêchait de comprendre ce que disaient les ouvriers. Plutôt que de lutter contre ce bruit, il décida d’y passer la nuit. Le lendemain, son cerveau avait intégré le bruit ambiant comme un élément de fond : il n’y prêtait plus attention, et parvenait parfaitement à suivre les conversations.
Ce changement d’attitude perceptive illustre une idée centrale en hypnose : ce qui dérange peut cesser d’être perturbant lorsqu’il est accueilli comme une simple donnée de l’environnement, dépouillée de sa charge émotionnelle.
Un exemple concret issu de ma pratique
Lors d’une séance d’hypnose particulièrement éprouvante pour moi — j’étais encore un jeune praticien — un client hypersensible au bruit montrait des signes d’irritation intense. Des travaux bruyants avaient lieu chez le voisin, et il était à deux doigts de perdre patience.
Plutôt que de tenter d’ignorer le bruit ou de l’intégrer en espérant se détendre — ce qui lui était impossible et l’avait déjà largement agacé — je lui ai proposé une alternative : fermer les yeux et se concentrer pleinement sur ces sons. Je lui ai demandé : “À quoi vous font-ils penser ? Que représentent-ils pour vous ? D’où viennent-ils, dans votre imaginaire ?”
Je m’attendais à une description banale, faite de marteaux-piqueurs ou de machines. Mais à ma grande surprise, il m’a répondu : “Ce sont comme des chars en marche.”
Je l’ai invité à observer ces chars plus attentivement, à me décrire leur apparence, leur mouvement, leur direction. Puis je lui ai suggéré de les regarder s’éloigner lentement… les voir rouler vers l’horizon, de plus en plus petits, de plus en plus lointains… jusqu’à ce qu’ils disparaissent dans le silence.
En quelques minutes, son corps s’est relâché. Il a plongé dans une transe très profonde — un état somnambulique — qui a permis un travail thérapeutique particulièrement riche. Il venait d’apprendre à fermer ses yeux et ses oreilles extérieures… pour ouvrir ses yeux et ses oreilles intérieures.
Ce simple exercice de recontextualisation avait transformé un environnement bruyant en un espace propice à la paix intérieure… et à la transformation.
Script hypnotique pour accompagner la sensibilité au bruit
“Prenez un moment pour vous installer confortablement, les yeux posés sur un point… et laissez-les se fermer doucement, lorsqu’ils le voudront… Inspirez profondément… et, à l’expiration, laissez ce qui est superflu se dissiper…
Imaginez maintenant que vous avez deux paires d’yeux…
Les yeux externes regardent le monde extérieur : les formes, les couleurs, les mouvements… comme une fenêtre ouverte sur le monde. Ils observent sans jugement, avec tranquillité…
Puis, imaginez une deuxième paire d’yeux, vos yeux internes… tournés vers votre monde intérieur. Ces yeux voient vos pensées, vos émotions, vos sensations… dans un paysage calme et accueillant, où tout peut être simplement observé…
Ressentez ce calme s’installer à chaque inspiration…
Et maintenant, imaginez aussi deux paires d’oreilles…
Les oreilles externes perçoivent les sons de l’extérieur… certains proches, d’autres lointains… et tous font simplement partie d’un paysage sonore neutre.
Les oreilles internes, elles, écoutent un espace de paix… Peut-être le silence entre mes mots… ou le murmure d’un ruisseau, ou le souffle du vent…
Prenez le temps d’explorer ce paysage intérieur… et de vous y installer… en équilibre entre ce qui vous entoure et ce qui vous habite…”
Application aux acouphènes : intégrer plutôt que fuir
Cette technique se révèle également bénéfique pour les personnes souffrant d’acouphènes. En intégrant les sons internes dans le paysage auditif des oreilles externes, ces sons cessent d’être vécus comme une menace. Ils deviennent une composante de l’environnement sonore, sans impact émotionnel excessif.
Faire la paix avec le bruit
Apprendre à moduler sa perception sonore, ce n’est pas chercher à contrôler le monde, mais à se réconcilier avec lui. Grâce à l’hypnose, les personnes hypersensibles — ou simplement surstimulées — peuvent retrouver du calme, même dans un monde bruyant. En cultivant un espace intérieur paisible, elles transforment le vacarme en fond sonore, et le fond sonore en silence intérieur.
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